La Bâtiaz, du vent dans les voiles. Des larmes dans les yeux.

« Les larmes sont une musique silencieuse qui expriment l’inexprimable. »

Khalil Gibran

Il est des histoires qu’il est plus aisé à conter que d’autres.

Il est des aventures qui se terminent moins bien qu’elles n’ont commencé et dont on revient moins nombreux qu’espéré.

La Batiaz est de celles-là.

Il était une fois une troupe de joyeux Gardes du Mont-Gibloux qui se mirent en tête d’aller à nouveau en Valais profond pour défier les vagues et les bourrasques de la Bâtiaz.

« On a survécu les deux dernières fois, on va pas se laisser effrayer! ».

Un matelot n’a jamais peur. Mais la témérité ne paye pas toujours.

Nous arrivâmes alors fringants et confiants à Martigny et sur sa noble colline pour planter notre campement. Derniers arrivés, il nous fallu comme première épreuve, effectuer un slalom géant entre les tendeurs et les piquets pour atteindre notre petit terrain. Petit?

« Ah ouais c’est petit » nous nous exclamâmes alors tous les uns après les autres. Il y’a de l’écho en Valais.

Qu’importe ! Montons notre chapiteau!

Ses 3 mâts, sa voilure, ses poteaux et ses murs… « ils sont bizarres les murs! »

Grand silence sur le pont.

« Je reviens » dit notre contremaître qui ne réapparu avec son second que 2 heures plus tard… avec les bons murs et ayant raté les 2 premiers apéros.

« Oh ça va, c’est pas bien grave. Elle est pas si terrible cette aventure »

Attendez, jeunes impatients. Ça vient.

La première soirée fût festive et douce. Elle nous posa les fondations d’un week-end de volupté et de satisfactions. La nuit nous mordit de froid, mais sans affaiblir notre détermination.

Une fois le matin levé, nulle ombre au tableau. Un défilé organisé aux petits oignons. (Sauf pour la police de Martigny qui avait été invitée 30 min trop tard.)

Le repas fut succulent et les Gardes du Mont-Gibloux plus pimpants que jamais à l’entame de ce week-end de pur bonheur.

Des combats, de la danse, de la déambulation, et… du vent.

Alors que l’on commençait à sentir le poids de la journée peser, le foehn décida de s’inviter à la fête. Et pas qu’à moitié.

Dès cet instant et jusqu’au cœur de la nuit, la vie de la Garde fut l’esclave des caprices de la houle.

Notre chapiteau fût durement touché à plusieurs reprises, et les efforts et l’ingéniosité des Gardes fût la seule chose qui l’empêcha d’être totalement couché par la tempête. Sans éviter hélas une cruelle déchirure.

Le moral et les heures de sommeils en furent lourdement affectés. Alors que l’après-midi durant, tous avaient âprement œuvré à consolider la structure, le branle-bas fût invoqué de trop nombreuses fois jusque tard dans la nuit.

Dès les premiers signes de bourrasques, les Gardes assoupis se levaient et la taverne se vidait pour que chacun puisse s’accrocher à un tendeur et … y croire.

Ce sont des Gardes à bout de force qui se retrouveront le matin autour du café d’Hugo et des croissants de Noël et ne pourront que se féliciter des énormes efforts consentis et du résultat conquis. Le chapiteau avait tenu.

C’est alors que vint la pluie.

Jamais très forte, jamais battante. Mais toujours présente. Comme chaque année. Comme un rhume des foins que l’on croyait oublié.

Le temps maussade décida quelques Gardes en manque de confort de faire fi du destin et de se rendre en ville pour goûter au doux réconfort d’un petit déj au chaud -et en costume !- dans un tea-room plein de clients interloqués.

Nous étions en train de reprendre du poil de la bête. Le repas s’approchait. C’est alors qu’une épreuve des plus dure affecta avec fracas l’ensemble de la Bâtiaz. 

La musique se tût et les chants cessèrent. La nouvelle se répandit telle une sombre sentence. Un membre de cette grande famille, de cette grande fête, venait de s’éteindre. 

Je n’ai pas les mots adéquats pour vous partager dans ce simple texte la vague d’émotion qui recouvrit la Batiaz durant les heures qui suivirent.

Certains le connaissaient. D’autres non. Mais tous ont ressenti à ce moment une perte terrible et des images qui ne disparaîtront pas.

Les secours diront que tout a été fait et que chacune des personnes qui est intervenue, quelle que soit son implication a été merveilleuse et n’aurait pu en faire davantage.

Piètre réconfort. 

On avait tous envie d’arrêter à ce moment-là. Mais nous n’en avions pas le droit. Pas le droit parce que cela n’aurait pas fait honneur à ce camarade medieviste. Pas le droit car il y avait des enfants encore qui comptaient sur nous pour leur apporter de la joie.

C’est donc le cœur lourd mais la fougue entière que nous avons tout donné pour les dernières prestations de la journée. Comme si elles allaient les dernières de notre vie.

La fête s’est alors plus paisiblement achevée. Un nouvel accident sur la route nous fit remonter l’angoisse à peine retombée, mais fort heureusement les conséquences en furent moins douloureuses et les secours ramèneront avec eux un patient éprouvé mais sauf.

Je vais vous passer les détails de démontage et du rangement qui se passèrent au mieux et avec efficacité.

Je finirais cette histoire par un petit mot à destination de tout ceux que nous avons côtoyé durant ce week-end.

Nous avons traversé une tempête ensemble. Si notre équipage a la chance de revenir au complet, nous savons que ce n’est pas le cas de tous.

Nous aimerions ôter nos chapeaux et nos tricornes et les poser sur notre cœur pour vous chanter toute notre sympathie, à vous qui avez traversé ces moments cruels et douloureux. Nous aimerions poser une main appaisante sur l’épaule de chaque personne présente et qui rentrera chez elle avec le cœur blessé.

Nous aimerions aussi adresser de chaleureux remerciements aux organisateurs qui sont parvenu à garder le cap malgré toutes les épreuves.

Prenez soin de vous

« – Je ne croyais pas que ça finirait de cette manière.

– Finir ? Non, le voyage ne s’achève pas ici. La mort n’est qu’un autre chemin qu’il nous faut tous prendre. Le rideau de pluie grisâtre de ce monde s’ouvrira et tous sera brillant comme l’argent. Alors vous les verrez…

– Quoi Gandalf ? Voir quoi ?

– Les rivages blancs et au delà, la lointaine contrée verdoyante sous un fugace levé de soleil.

– Alors… ça ne va pas si mal ?

– Non, en effet. »

Le Seigneur des anneaux : le retour du roi, Pippin et Gandalf.