Marc Chassot est le Président de la Fédération du Grand Cerf Blanc, qui supervise l’organisation du Tournoi du même nom qui a lieu tous les ans. Mais c’est aussi et surtout un membre de la Garde et notre Maréchal de Tir à l’Arc. Dans ce « bref » article, il va nous partager sa vision du tir et de la transmission de ses connaissances.
« Je suis actuellement responsable du tir à l’arc médiéval dans le cadre de la Garde du Mont-Gibloux. Cette position est très intéressante et très enrichissante pour moi, elle me permet d’apprendre de nouvelles choses à chaque session de tir.
Bien sûr il y a les aspects logistiques à gérer (un grand merci à Hugo pour son aide précieuse) mais ce qui me plait le plus c’est de devoir comprendre autant la technique de tir que la manière de la transmettre aux autres pour qu’elle soit bien comprise.
Si on prend 5 minutes pour chercher, on trouve assez facilement des informations sur des sites internet décrivant la technique de tir en X étapes avec des explications très pointues et détaillées concernant les différents paramètres et positions. On pourrait simplement les mettre à disposition des tireurs et leur dire « article 22 : démerdes toi comme tu peux » mais si c’était si facile, on aurait déjà 4000 troupes de tir à l’arc médiéval rien que sur le canton de Fribourg.
Pourquoi ça ne fonctionne pas comme ça ? Parce que nous sommes des enfants, nous aimons jouer, nous aimons tester les choses, comprendre par nous-même, adapter nos techniques sur la base de constations que nous avons faites par nous-mêmes. Est-ce qu’une énigme est intéressante si on a la solution dès le début ? Non, ce qui est intéressant c’est d’essayer de la trouver nous-mêmes, avec peu voire pas d’indices et si possible mieux ou plus vite que les autres.
Fort de cette constatation, quand j’accompagne quelqu’un dans la pratique du tir à l’arc, j’essaie de ne pas lui communiquer d’informations qu’il n’a pas sollicitées ou dont il n’a pas (encore) besoin. Ce qui est important c’est de savoir doser l’interventionnisme.
Entre – tiens ton arc, vas te blesser tout seul dans la forêt – et – on va débuter ce séminaire de 15 jours de théorie sur le tir à l’arc- il y a largement plus que 50 nuances de pédagogie.
Pour quelqu’un qui n’a jamais tiré à l’arc, on va commencer par mettre en place les contraintes minimales pour assurer la sécurité avec quelques explications simples du style : « on garde toujours les flèches en direction de la cible », « si on ne tire pas, on reste derrière le tireur ou la ligne de tir », « en cas de doute, on s’arrête et on demande ». Puis on vérifie passivement ce que la personne fait et on n’intervient que s’il y a risque de blessure ou de grosse casse matérielle. Il ne faut pas considérer le fait de casser une flèche comme une casse matériel. Casser une flèche c’est payer le prix du savoir et de l’expérience. Il faut le conceptualiser comme le prix d’un ticket de cinéma, c’est un moyen, pas un but en soi. Bon après une séance de tir, ne jetez quand même pas vos flèches et dans tous les cas, ne dites pas que c’était mon idée !
Le plus important et le plus difficile quand on accompagne un tireur, c’est d’identifier ce dont il a besoin juste maintenant comme information pour avancer. Qu’est-ce qui est réellement déterminant maintenant pour obtenir une amélioration mesurable du plaisir ressenti par la personne dans le cadre de l’activité de tir à l’arc.
Pour répondre à cette question, il faut d’abord comprendre la personne qui tir à l’arc. On pourrait être tenté de prodiguer des conseils pour que la personne améliore son score ou le groupage de ses flèches mais ce n’est pas forcément ce que la personne recherche en priorité. Pour commencer il faut donc s’intéresser à la démarche de la personne et à ses buts. On a peut-être à faire à une personne à qui un médecin a recommandé la pratique d’un sport pour rester en forme. Dans ce cas, une optimisation de la position devra passer avant l’optimisation du score.
Pour identifier les réels buts des tireurs, on va appliquer la méthode que j’appelle affectueusement « ferme ta gueule et écoute » parce que c’est évident qu’en parlant, vous n’allez rien apprendre. Vous savez déjà tout ce que vous savez, le redire une Xième fois à haute voix sans connaitre le contexte ne va pas faire avancer la situation mais aura seulement tendance à saouler les gens. Donc on écoute, pour de vrai, pas juste pour trouver comment rebondir pour impressionner les autres. On évite autant que possible les phrases qui commences par «Moi, je… »
Parfois, il n’y a rien à écouter ou à analyser, la personne passe un bon moment, découvre l’activité par elle-même, à son rythme. Si c’est le cas, n’allez surtout pas l’interrompre.
La plupart du temps après avoir tiré quelques dizaines de flèches, les gens vont spontanément venir vers vous avec une question concrète mais pas forcément formulée de manière « optimale » et c’est là que vos capacités de traducteur vont être mises à contribution. Voici quelques exemples :
« Mes flèches partent dans toutes les directions » = « Est-ce que tu peux me donner des bases pour obtenir une meilleure maitrise ?»
« Mes flèches partent toutes à gauche » = « Est-ce que tu peux me dire s’il y a quelque chose de faux dans ma technique »
Au passage on remarquera le côté « externalisation de la responsabilité » dans les phrases à traduire. En plaisantant j’aime bien dire et redire : « quand on est mauvais, on peut toujours accuser le matériel » et parfois je le fais également, sans m’en rendre compte !
Comment procéder maintenant que
1) Vous avez compris le but de la personne
2) Vous l’avez observée en train de tirer
3) Elle est venue vous voir pour vous demander de l’aide
Il faut dresser une liste mentale des détails que vous avez remarqué durant l’observation et qui selon vous font que la personne s’éloigne du « tir parfait ». Ensuite il faut les classifier en ordre décroissant d’importance et échafauder un plan en X étapes, clair et compréhensible pour corriger ces « défauts » et arriver en suivant une processus logique et itératif, à améliorer notablement la technique de tir de la personne.
Et pour faire ça, j’ai combien de temps ? Pas plus de 4 secondes, au risque de passer pour quelqu’un de mentalement lent dont on ne va pas suivre les conseils !!!?
Voilà, le cœur du problème est clairement identifié. Il ne reste plus qu’à le résoudre. Bien évidement vous aurez compris que l’entrainement, la pratique, l’expérience, l’échange actif avec les autres tireurs, tout ça fait que la tâche sera de moins en moins ardue et qu’à la fin, elle vous semblera peut-être même « facile » (ouais dans 500 ans peut-être).
Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’il n’y a qu’une seule et unique technique qui fonctionnera tout le temps à coup sûr : écouter, chercher à identifier ce qui est déterminant, ce qui va être bien compris, ce qui sera accepté, s’adapter à la personne qu’on a en face de soi et se remettre en question autant que possible.
Parmi les gens qui vont venir tirer à l’arc avec vous, il y aura des profils différents : des scientifiques, des intuitifs, des émotifs … c’est réellement important d’adapter son discours pour chacun.
Au scientifique, on dira : « le départ de la flèche devra être aussi calme que possible, sinon la corde aura un mouvement de précession et transmettra une force biaisée à la flèche dont le vol sera turbulent avec les conséquences y attenantes en termes de précision et de groupage. »
A l’émotif on dira. « La flèche doit être un prolongement énergétique de ton bras et de ta volonté d’atteindre la cible, ferme les yeux, pense à ça, visualise-le, ne pense plus, le reste se fera tout seul »
Maintenant essayez d’inverser les 2 récipiendaires de ces conseils et FUYEZ PAUVRES FOUS !!! »